Pour ses defenseurs, la tauromachie est 1 art. Pour ses opposants, elle releve de la cruaute. Pro et anti se defient votre week-end en rues d’Arles, ou s’ouvre la Feria de Paques.
Notre torero francais Sebastien Castella en mai 2013. (PASCAL GUYOT / AFP)
Notre statue de Nimeno II se dresse via l’esplanade des arenes de Nimes. Menton baisse, genou pointe, cape brandie. C’est le monument le plus photographie de la ville. Et le plus souille.
On voit eu diverses fois du sang artificiel repandu sur la chaquetilla du matador, des tags d’insultes sur une montera, et meme une manifestation organisee a ses pieds avec une trentaine de militants en justaucorps noir, affubles de cornes, perces de banderilles rouges, ainsi, qui etaient venus simuler l’agonie de taureaux.
Nimeno II, le torero francais le plus celebre, avait ete grievement blesse dans l’arene. Reste entre l’existence et la fond pendant diverses journees, tetraplegique durant de longs mois, paralyse du bras gauche a tout jamais, il s’est pendu dans son garage un jour de novembre 1991.
C’est l’incarnation d’la barbarie pour nos anti-corrida, un heros pour nos aficionados, ainsi, sa version en bronze, l’un des enjeux favoris de leur combat.
Les anti et nos pro se livrent une guerre acharnee
Alors que s’ouvre votre week-end la feria de Paques d’Arles, classique coup d’envoi en saison tauromachique en France, les deux camps agitent deja le chiffon rouge.
Un rassemblement etait prevu sur les marches des arenes samedi 19 avril apres-midi pour defendre le “peuple du taureau”, comme dit Luc Jalabert, eleveur et organisateur en feria. Une autre manifestation se tient le lendemain, place Lamartine, a des centaines de metres de la, pour en denoncer le “sadisme”, le slogan deja inscrit en noir sur les banderoles.
Plusieurs milliers d’anti et de pro se defient au sein des ruelles une cite camarguaise. Ils recommenceront deux semaines apri?s, Afin de la feria de Pentecote a Nimes. La statue de Nimeno II va parfois ne point en bouger indemne.
Entre les deux camps, c’est peu penser que le dialogue est impossible. Cela fait deja longtemps qu’ils ne se qualifient plus respectivement que d'”hysteriques” (alias les anti) ainsi que “tortionnaires” (les pro). Les premiers fustigent la “cruaute qui consiste a enfoncer un metre et demi de fer au corps du taureau sous forme d’epees et de banderilles” (dixit Claire Starozinski, presidente d’Alliance anti-corrida) et ironisent concernant une activite en perte de vitesse, avec Sans compter que outre fermetures d’arenes (Saint-Perdon, Collioure), de corridas et de ferias supprimees (Fenouillet, Frejus) et une baisse du nombre de spectacles de 16% i propos des six premiers mois de 2013, avec rapport a la meme periode de l’annee precedente.
Mes aficionados, eux, en appellent aux adeptes historiques (Merimee, Manet, Cocteau, Hemingway, Picasso, Montherlant. ) ou plus recents (Manuel Valls, Catalan de naissance) et vantent une pratique festive et culturelle ancestrale qui draine 500.000 touristes en rues d’Arles et un million dans celles de Nimes. “Meme si la corrida fut codifiee en 1830 en Espagne, les jeux taurins etaient frequents au Midi des le Moyen Age, raconte Andre Viard, president de l’Observatoire national des Cultures taurines.
Premiere plainte en 1919
La guerre, i§a, a demarre tres tot. Au XIXe siecle, deja, le prefet de Dax avait envoye la gendarmerie dans l’arene pour empecher qu’un spectacle ne se tienne en depit tout d’un arrete d’interdiction. Et la premiere plainte une SPA (Societe protectrice des Animaux) remonte a 1919. Mais la lutte semble s’i?tre radicalisee ces dernieres annees.
Ce qui a fait sortir des couteaux ? Le classement en 2011 de la tauromachie au patrimoine culturel immateriel d’une France par Frederic Mitterrand, alors ministre en Culture, ainsi, sa validation en 2012 par le Conseil constitutionnel. Deux associations l’avaient saisi au sujet de l’article 521-1 du Code penal, qui punit de deux ans d’emprisonnement ainsi que 30.000 euros d’amende tout “acte de cruaute envers un animal domestique, apprivoise ou tenu en captivite”, mais exclut les “courses de taureaux lorsqu’une tradition locale ininterrompue peut etre invoquee”, c’est-a-dire au sein des quatre regions du sud d’une France, Provence-Alpes-Cote d’Azur, Languedoc-Roussillon, Midi-Pyrenees et Aquitaine. Les neuf Sages ont finalement juge les corridas compatibles avec la Constitution.
C’est aberrant. Sur bien le territoire francais, celui qui torture un animal va parfois se retrouver en prison, sauf dans ces onze departements du Sud.”
Et de continuer : “A l’automne, trois propositions de loi a l’Assemblee nationale, une au Senat, ont ete deposees par des parlementaires de l’ensemble de bords pour abolir la corrida. Elles n’ont i chaque fois pas ete examinees. En avril, nous avons fera appel devant la cour administrative d’appel de Paris afin que l’inscription une tauromachie au patrimoine francais soit supprimee. Nous attendons le verdict. Meme J’ai Catalogne a interdit la “Fiesta nacional”, tel ils l’appellent la-bas (1). Elle reste prohibee a Quito, en Equateur. Pendant combien de temps libre encore une poignee d’aficionados va-t-elle continuer a imposer la dictature tauromachique ?”
Jean-Pierre Garrigues, 50 ans, vegetalien, professeur d’economie et d’ecologie au lycee agricole de Rodilhan (Gard), est a la tete du Crac (Comite totalement anti-corrida), une des associations les plus offensives, 5.000 adherents, Amelie Nothomb comme presidente d’honneur, et des donateurs richissimes, dont Caro Augier, proprietaire du Negresco, a Nice, qui avait fera accrocher des affiches 4?3, avec un taureau en sang, sur la promenade des Anglais.
Plusieurs dizaines de plaintes et quelques comparutions
Le Crac s’inspire des campagnes coup de poing de l’association americaine Peta, qui fera defiler ses militants nus et couverts de peinture rouge pour protester contre la mode d’la fourrure, ou de l’espagnole Prou, qui simule des pendaisons en haut des arenes.
C’est le Crac qui, en octobre 2011, juste avant un spectacle, a fait descendre dans la piste des arenes de Rodilhan, pres de Nimes, une trentaine de militants enchaines et bardes de fumigenes ; le Crac bien qui possi?de organise la aussi scene a Rion-des-Landes, en Aquitaine, l’ete soir, ainsi, une nouvelle manifestation a Rodilhan, a l’automne. A chaque fois, cela a en gali?re tourne. Insultes, provocations, reactions musclees des aficionados, blessures, fractures, et meme 1 militant au coma a Rion-des-Landes. Plusieurs dizaines de plaintes ont ete deposees de part et d’autre. Jean-Pierre Garrigues vient de devenir condamne a Dax pour injure et a aussitot fait appel. Arme d’un megaphone, il avait traite nos spectateurs des arenes de Rion-des-Landes de “parents degeneres”.
Il va i?tre a nouveau convoque le 22 septembre concernant manifestation illegale, entrave a la liberte du boulot et mise en danger d’une vie d’autrui. Une nouvelle audience reste prevue en prochains mois a Nimes a la suite des plaintes pour coups et blessures deposees par des militants anti-corrida. L’enquete faux profil airg est en file. Vingt-six aficionados seront concernes. C’est desormais dans les pretoires que des deux mondes s’affrontent. Et c’est sans doute la que seront portees les estocades nos plus redoutables.
Nathalie Funes – Le Nouvel Observateur